Le « shaped canvas » est une peinture sur une toile non rectangulaire, de forme singulière et irrégulière. Plus encore, la matière s’avère étendue sur un cadrage atypique et asymétrique écarté de la tradition. Cette pratique du maniement de la toile, qui permet d’outrepasser les contraintes reliées au cadre, est dévoilée par ce terme et propagée par Frank Stella, à travers les années 1960, pour qualifier un tableau aux contours inhabituels.

Au-delà des formes circulaires (comme le classique Tondo) ou triangulaires largement utilisées du XVe au XXe siècle, celles-ci sont à présent variées ; inusitées et désarticulées. Le support, depuis lors remis en cause, se trouve fragmenté, incliné, ou totalement écarté.

Aujourd’hui, le « shaped canvas » révèle une géométrie protéiforme. C’est la fusion d’une esthétique plurielle ; l’émancipation des conventions en peinture et de sa perception habituelle. Les surfaces éclatées sont à la fois bidimensionnelles et tridimensionnelles, elles s’appréhendent comme des espaces picturaux et sculpturaux — ou architecturaux. Résultant de techniques transgressives, entre addition et soustraction, les pourtours deviennent de véritables motifs ou reliefs inusités. Par les multiples reconfigurations de la toile, un déséquilibre s’opère ; une instabilité résolue et irrésolue. En ce sens, les délimitations de la toile sont détruites et reconstruites en des possibilités autres, attirant inévitablement le regard de l’observateur tant vers l’intérieur que vers l’extérieur.

Dans l’exposition Shapé, présentée à la maison de la culture Janine-Sutto du 19 juin au 25 août 2019, les dissemblables procédés de « shaped canvas », issus des pratiques actuelles de treize artistes d’ici, sont accentués en une mise au pluriel. En cela, chacune de leurs propositions, rassemblées par le commissaire et artiste Frédéric Chabot, génère leurs propres variations de spatialisation et révèle des tensions par l’indétermination des combinaisons et reconstitutions de la peinture et d’autres médiums.